Article paru dans HRI Mag le 16 septembre 2024 | Par Bastien Durand 

En restauration, les franchises gagnent du terrain, au Québec. Des grosses bannières aux plus modestes, le marché se développe par l’intermédiaire de développeurs de réseaux de franchises. Recrutés par des marques ou des entreprises spécialisées, ils flairent les meilleurs emplacements pour s’installer – et les bons candidats.

Simon Plante travaille chez Ashton depuis avril. La bannière québécoise de restauration rapide, qui compte 23 restaurants, n’a aujourd’hui qu’un seul franchisé dans la province. Elle souhaite développer ce modèle d’affaires pour ses nouvelles succursales. Le rôle du développeur : trouver des emplacements privilégiés et des futurs entrepreneurs franchisés. « Je mets en place des processus pour pouvoir cocher les cases du franchiseur en définissant les critères de sélection, explique-t-il. Comment choisir l’emplacement du futur établissement ? Comment choisir le franchisé ? »

Investir au bon endroit

Planification stratégique, financement du projet, recommandations pour la marque… Le développeur de franchises évolue sur tous les fronts. « On travaille avec des courtiers immobiliers pour recommander des emplacements au franchiseur et on fournit des analyses de marché en fonction du prix du loyer, de la circulation automobile, de la zone de chalandise ou encore de l’intensité concurrentielle », détaille le stratège.

Au quotidien, il prospecte. « Quel marché cibler ? Avec quel concept de restaurant ? Faut-il privilégier un service au volant, intégrer l’établissement dans un centre commercial ou l’installer en bordure d’une voie rapide ? énumère-t-il. Je formule des recommandations pour que la franchise puisse développer son plein potentiel. » Le repérage du bon emplacement pour la prochaine succursale devient un outil clé du développement d’une marque. Les développeurs de franchises sont là pour dénicher le spot de rêve. Certains participent à le créer.

Depuis 2016, Nicolas Roux est responsable du branding de Fromagerie Victoria et il explore les emplacements les mieux appropriés pour implanter la marque « partout dans la province » en s’entourant de designers et d’architectes. L’ancienne usine de fromages créée en 1946 à Victoriaville est devenue un modèle intégré incluant un restaurant casse-croûte, un bar laitier et une microboutique. Elle veut conquérir les zones périurbaines du Québec. « Je suis un peu le chef d’orchestre avant l’ouverture », illustre-t-il.

Pour Nicolas Roux, la principale difficulté de son métier est de trouver de très bons emplacements « triple A » de 3000 pieds carrés où offrir un service à l’auto et un terrain de stationnement d’au moins 50 places. « La concurrence est rude entre les grandes bannières pour trouver de bons endroits et il n’en pleut pas au Québec. Ça prend des contacts. » Terrebonne, Mascouche, Boucherville et même la Montérégie… Fromagerie Victoria planche sur le développement d’une quarantaine de restaurants sous la forme actuelle.

Si l’emplacement importe, le choix du franchisé ne doit pas être négligé pour autant. « Lorsque les gens se présentent d’eux-mêmes, c’est qu’il y a déjà une graine dans leur tête », note Simon Plante. Finalement, seulement de 2 à 3 % des candidats qui se manifestent s’avèrent intéressants, selon lui. Ils doivent d’abord disposer des ressources financières nécessaires. « Il y en a aussi qui pensent que l’on peut gérer un restaurant sans y être physiquement. Ceux-là, on les écarte rapidement », ajoute-t-il.

Un modèle d’affaires qui a fait ses preuves

L’engouement pour la franchise en restauration ne faiblit pas. Jérémy Bessette, directeur de Québec Franchise Développement (QFD) – entreprise récemment créée par le groupe Abbatiello et sa célèbre bannière Pizza Salvatoré pour soutenir des enseignes dans leur développement – le constate : « Il y a une demande pour le recrutement de franchisés, c’est une réalité. » L’entreprise, qui a généré beaucoup de leads (des demandes pour gérer une franchise) a dû augmenter la cadence depuis le début de l’année. « De nouvelles bannières ont toqué à notre porte pour qu’on puisse les représenter dans la province. On ne s’attendait pas à ce que ça prenne de l’ampleur comme ça », avoue-t-il. Si 12 marques travaillent avec QFD, Jérémy Bessette s’attend à augmenter le nombre de partenariats dans les prochains mois. Son équipe gère plus de 1200 demandes de franchisés potentiels par mois.

Les investisseurs aguerris, dits « multi-unités », qui détiennent déjà des restaurants ou d’autres franchises hors secteur sont certes attirés par une nouvelle affaire. Cependant, le modèle peut aussi plaire aux personnes qui font leurs premiers pas dans l’entreprenariat. « Parmi les candidatures que l’on reçoit, il y a des personnes seules ou des couples qui recherchent une seconde carrière après avoir travaillé dans un autre domaine, souligne Simon Plante. Ils se lancent alors en affaires tout en étant accompagnés et moyennant une mise de fonds relativement accessible. Surtout en restauration rapide. » Les ressources humaines, la sécurité du personnel, la salubrité alimentaire, le système d’approvisionnement avec des fournisseurs établis et la stratégie marketing sont déjà fonctionnels. « Avoir un tel encadrement, c’est quelque chose de rassurant lorsqu’on veut créer sa première entreprise. Et les recettes des plats ont déjà fait leurs preuves, note le spécialiste. Mais c’est sûr qu’il y a moins d’indépendance en matière de créativité pour le franchisé ! »

« Ça marche fort, et beaucoup de nos franchisés souhaitent ouvrir un autre magasin, indique Nicolas Roux. C’est un réseau qui prend petit à petit. » L’investissement nécessaire pour gérer une succursale Fromagerie Victoria est beaucoup plus important que ce qui est généralement demandé en restauration rapide traditionnelle. Nicolas Roux exige que l’apport du franchisé exploitant atteigne au moins 25% de l’investissement total. Cela correspond à une mise de fonds de 400 000 $ ou plus. « Avec des prévisionnels qui font du gros volume en chiffres d’affaires, on cherche des partenaires opérationnels chevronnés », précise-t-il. En restauration rapide, la mise de fonds se situe plutôt entre 50 000 $ et 75 000 $.

Pour une marque, l’ouverture de succursales franchisées est une occasion d’étendre sa présence dans une région ou un pays. La marque gagne en notoriété plus rapidement grâce à des ambassadeurs qui connaissent mieux qu’elle l’endroit où elle souhaite s’implanter. « Plus les enseignes s’étendent géographiquement, plus elles ont besoin de bons partenaires locaux qui connaissent les personnes influentes de la région et les habitudes de consommation des gens », constate Simon Plante. Elles peuvent alors d’autant plus se concentrer sur la mise en marché d’innovations et sur le développement de nouveaux produits.

Des défis à relever

La franchise de restauration rapide est l’un des modèles les plus simples à s’approprier pour le directeur de QFD, même s’il y a toutefois un travail d’éducation à faire sur la formule, au Québec. « On joue tout de même parfois un rôle de professeur, constate-t-il. Il y a beaucoup de curiosité, mais on part souvent de zéro et on passe beaucoup de temps à accompagner. Ce n’est pas un problème, mais en Ontario, le modèle est beaucoup plus développé et il s’insère dans la culture d’entreprise. » C’est aussi ce que constate Simon Plante depuis ses débuts. « Il y a un travail d’accompagnement nécessaire de notre part. Le candidat potentiel a souvent besoin de faire valider sa démarche ; c’est donc aussi un rôle que nous jouons », remarque-t-il. « Il reste tout de même difficile de trouver les bons opérateurs. Dans la province, il y a plus de repreneurs que d’entrepreneurs, et on se retrouve avec beaucoup de profils pluri-unités ou pluri-bannières – surtout dans les chaînes matures comme les marques reconnues », souligne Xavier Chambon, ancien directeur du Conseil québécois de la franchise.

Au Québec, parce que des concepts sont régulièrement lancés, la restauration rapide reste dynamique. « Mais il y a de la place pour tous les genres », estime Jérémy Bessette.